[Qu’est-ce qu’une dictée dialoguée ? ]

La dictée dialoguée est un exercice orthographique qui s’inspire d’une pratique courante de l’enseignement du français-langue-étrangère et qui a commencé à être expérimenté depuis 1984 au collège. Dès l’abord, il m’est apparu comme un moyen de réfléchir sur l’orthographe et de travailler avec les élèves sur leurs représentations et difficultés.

• Un exercice ritualisé

Je me propose de reproduire le tableau réalisé par Marc Arabyan dans un article de « L’Ecole des Lettres » consacré à la dictée dialoguée , il résume simplement le déroulement de l’exercice.

LA DICTEE DIALOGUEE

1) Après lecture générale du texte, la première phase est dite in extenso une seule et unique fois. Par définition, l’énoncé dicté est une phrase et c’est aux élèves de lui prévoir le point qui convient : … ! ? ou : . La ponctuation incluse (virgule, point-virgule) dépend du débit et de l’intonation.
2) Chaque élève (chaque élève en difficulté) reprend la phrase à haute voix. S’il y a erreur d’articulation ou de prosodie, on fait corriger par un autre élève. Si personne ne répète correctement, on procède à une nouvelle lecture modèle.
3) La phrase ponctuée est écrite en silence d’un seul jet, sans laisser de lacunes, avec toute sa ponctuation. On pose la plume, on se relit.
4) Dialogue : Toutes les questions peuvent être posées au groupe ou au professeur et en recevoir réponse, étant entendu que :
a) questions et réponses sont publiques ;
b) « plus personne ne connait l’alphabet ».
5) On reprend la plume et on corrige en fonction des propositions des uns et des autres.
On repose la plume
6) La deuxième phrase du texte est dite in extenso une seule et unique fois, etc.


Il est nécessaire d’apporter quelques précisions et compléments d’information :
Après lecture générale du texte, le professeur s’assure de sa compréhension globale : il demande à la classe de « raconter » ce qui a été lu, c’est-à-dire d’en dégager le sens.
Pendant la phase de questionnement, le professeur se positionne avant tout comme un arbitre du débat : il donne la parole à celui qui la demande, répète les questions ou réponses afin qu’elles soient entendues par tous, mais s’autorise le moins possible d’intervenir sur le contenu de la discussion : ce sont les élèves qui en sont responsables.
« Plus personne ne connait l’alphabet », cette règle signifie que les questions posées n’ont pas à faire intervenir l’alphabet ou l’accentuation : le questionnement tend à devenir grammatical. Exemple : Un élève veut savoir s’il y a un accent sur le « à » de « à la campagne ». Il devra tourner sa phrase ainsi : « Le « à » de « à la campagne » est-il une préposition ou l’auxiliaire avoir ? »
Cet exercice peut apparaitre comme une ritualisation excessive d’un principe d’échanges de compétences relativement simple. J’objecterai à cela que la ritualisation permet aux élèves de prendre appui sur une démarche, de soutenir leur concentration, l’exercice convoquant énormément de compétences différentes.

• Un moyen de réfléchir sur l’orthographe

Cet exercice permet avant tout aux élèves de construire des raisonnements orthographiques, ce qui n’est pas monnaie courante dans les exercices traditionnels (dictées, exercices d’application de règles, etc.). Dans l’article de « L’Ecole de Lettres » présentant la dictée dialoguée, Marc Arabyan propose trois facteurs de mise en échec des élèves face à l’orthographe et en premier lieu il souligne le fait que, à l’entrée en sixième, ils n’ont pas eu l’occasion d’avoir de réelle réflexion sur le fonctionnement syntaxique de la langue. D’autre part, ils n’ont pas non plus la capacité d’abstraction nécessaire pour conceptualiser et intérioriser celui-ci, et enfin, la grammaire - tout au moins sa façon de l’enseigner avant la réforme - constitue un savoir séparé des sources vives de l’énonciation des élèves. Son propos est donc d’encourager une pratique de l’orthographe en lien avec l’énonciation des élèves - « C’est donc du rapport entre orthographe et énonciation qu’il faut partir si l’on veut enseigner l’orthographe en tant que distribution de marques de l’énonciation dans un énoncé. » - et de favoriser un retour réflexif sur le fonctionnement de la langue - enseigner « une compétence raisonnée et raisonnable dans la rédaction de tous les textes » . Ces deux objectifs sont réalisés avec la dictée dialoguée, par l’intermédiaire du dialogue autour des difficultés spécifiques d’élèves - dialogue fortement orienté vers le fonctionnement de la langue grâce à la règle de l’alphabet - et l’explicitation du texte à orthographier incluse dans la première étape du rituel. J’ajouterai que c’est avant tout la circulation entre ces deux pôles d’activité (orthographe en lien avec l’énonciation et réflexion sur le fonctionnement de la langue) qui garantit le progrès des élèves, circulation permise par l’exercice.

• Un moyen de mettre à jour et de confronter les représentations des élèves

Comme l’a montré Vygotski, le savoir et la culture s’acquièrent dans un double processus d’abord intersubjectif (dans le contexte normé de l’école, les élèves apprennent dans l’échange avec les autres), puis intrasubjectif (par l’appropriation et l’intériorisation des savoirs). Demander aux élèves d’expliciter eux-mêmes leurs représentations du fonctionnement de la langue – telle est la conséquence de la règle de l’alphabet, nous le verrons dans le cours des dictées – et jouer sur la confrontation de ces représentations – par le dialogue – c’est encourager la première étape du processus d’apprentissage. La seconde étape est prise en charge par la phase d’autocorrection.
Piaget l’explique autrement – il parle de « déséquilibres » - mais ne dit pas autre chose : c’est la confrontation des représentations qui permet à l’enfant de se développer :
L’une des sources du progrès dans le développement des connaissances est à chercher dans les déséquilibres comme tels, qui seuls obligent un sujet à dépasser son état actuel. (…) Si les déséquilibres constituent un facteur essentiel – mais en premier lieu motivationnel – ils n’y parviennent qu’à la condition de donner lieu à des dépassements, donc d’être surmontés et d’aboutir à des rééquilibrations spécifiques. Ce sont ces déséquilibres qui sont le moteur de la recherche, car sans eux la connaissance demeurerait statique.

La dictée dialoguée s’avère donc être un procédé didactique particulièrement propice à l’apprentissage du fonctionnement de la langue. Elle met au jour des représentations parfois curieuses de son fonctionnement – nous le verrons – mais permet par là même de mieux comprendre les erreurs commises, les détours empruntés et les remédiations possibles.