Mes chers voisins
Marie Ange Claveloux. Seuil

Quatrième de couverture

On ne choisit pas son voisin. Un voisin, c'est beau, c'est laid. C'est gentil, casse-pieds, procédurier, radin, râleur. C'est bizarre et mystérieux. C'est bavard ou taiseux. Ca adore son chien, ça n'aime pas le tien. C'est horripilant, ça fait cuire du chou, ça fait du boucan, du potin, le cirque et out le tintouin. Mais quand tu t'en vas, ça garde la chat.


Par définition, le voisin habite à côté. C'est ce qui fait son charme. On sonne à sa porte quand on est en panne de moutarde. Si on doit faire trois kilomètres pour avoir sa moutarde, ce n'est plus un voisin, c'est un supermarché.


En ville, le voisin est nombreux et empilé. À la campagne, il est horizontal et parfois unique. Ce qui n'est pas forcément une affaire, car un seul emmerdeur peut vous pourrir la vie plus subtilement que les cinq cents habitants d'une tour de trente étages.


Le voisin peut être séparatiste ou expansionniste.
Le séparatiste rural bâtit des murs et plante des haies de thuyas. Il a des volets, des doubles rideaux, une alarme et un roquet qui aboie en apnée pour qu'on lui pique pas ses nains de jardin.
Le modèle urbain est planqué derrière son judas et se déplace en chaussons, ce qui lui permet de passer inaperçu si vous venez lui demander de la moutarde ou l'inviter à une fête. II n'a pas de moutarde et il fait la fête chez lui. Avec son épouse.
L'expansionniste est partout chez lui, surtout chez nous. II met son lave-vaisselle en route vers minuit et demi. Au rinçage, sa machine traverse la cuisine en faisant « braoum ». II écoute des marches militaires en faisant cuire du chou, il ouvre sa fenêtre pour regarder le match, et tout le monde sait que Bordeaux a marqué contre Saint-Étienne.
Si le voisin est équipé d'enfants, vous constatez que l'enfant s'épanouit mieux dans un périmètre réduit. Le chien aussi, d'ailleurs. Surtout à la campagne, avec toutes ces vastes prairies alentour. L'enfant et le chien détestent aller jouer dans les vastes prairies alentour. Ce qu'ils aiment, c'est vous escalader, vous baver dessus et ranger leurs joujoux dans vos chaussures.


II existe des immeubles où copiner avec les voisins est d'une simplicité enfantine. Le mien, par exemple, jouit d'une convivialité exceptionnelle. D'abord, l'acoustique est épatante. Dans le dancing d'en bas, chaque fois qu'un client recule sa chaise, ça remonte jusqu'au troisième étage. Et depuis qu'on m'a posé des doubles vitrages, j'entends un peu moins les autos, mais beaucoup mieux les voisins. Ça tombe bien, je préfère les voisins aux autos.
Un soir en rentrant, j'ai trouvé ma porte défoncée et plus rien chez moi - ils avaient même piqué le téléphone. J'étais assis dans l'escalier, le moral assez bas, quand mon voisin est arrivé. Je lui ai montré le désastre, il a dit: « II reste une chaussette.» J'étais tordu de rire devant ma porte en miettes. Les voisins, c'est bien.


Les voisins c'est bien, à condition d'arriver à les connaître. Quand on emménage quelque part, comment rencontrer la population ailleurs que dans le local à poubelles ? Le dégât des eaux est une bonne méthode, qui ne concerne hélas que le voisin du dessous. Pour toucher l'immeuble entier, vous pouvez organiser une fête chez vous. Succès garanti. La moitié de l'immeuble vient renverser du vin rouge sur la moquette, l'autre moitié appelle la police. Après, la vie reprend son cours.


Personnellement, j'ai toujours eu des voisins délicats et fréquentables. J'ai eu un étudiant sans frigo qui entreposait son beurre dans le mien, l'été. Il avait sa clé, il passait sans le beurre, il repassait avec le beurre, et il bouffait beaucoup de beurre.
J'ai dans un genre vraiment indispensable, la nounou qui arrose avec amour mes plantes, le chien, le chat et le perroquet.
Comme les cloisons sont minces, on entend les enfants grandir et leurs goûts musicaux évoluer. C'est émouvant. Le petit du dessus a d'abord écouté la chanson de Toto le Crapaud en boucle, à fond la caisse. Après, i1 a écouté la chanson de Josie la Marmotte en boucle, à fond la caisse. Après, il y a eu un silence, sa soeur ayant viré les cassettes à la poubelle - i1 n'a jamais compris cette disparition brutale. II a beaucoup pleuré.
Beaucoup moins remuant, i1 y a le voisin fantôme. I1 n'est jamais là. II n'embête donc personne, mais des rumeurs circulent: il vivrait à Istanbul, construirait des immeubles en carton et ferait dans l'import-export de peaux de chat.
Dans un genre assez nocif mais beaucoup plus rare, i1 y a le voisin « normal » qui perd la boule et se met à insulter tout ce qui bouge. Les infirmiers l'embarquent et les voisins témoignent: « II était pourtant bien poli, les bras m'en tombent. » Ou alors:
« II était crasseux et il disait pas bonjour. » Quelquefois ça fatigue un peu, mais il y a pire...


II y a l'immeuble où tout le monde est formidable. Pas d'enfants, pas de chiens, pas de pauvres, pas de chou, pas de musiciens. Rien ne dépasse, tout est conforme. Les femmes sont blondes, les hommes sont avocats, les cinq codes d'accès fonctionnent parfaitement, ainsi que l'interphone et le gardien. On sait qui est qui, on sait où on est, on peut s'ennuyer dans le calme et la sérénité.