Autour de la sentinelle de Frédéric
Brown.
Il était trempé et tout boueux, il avait faim et il était gelé, et il était à cinquante mille années-lumière de chez lui. La lumière venait d'un étrange soleil jaune, et la pesanteur double de celle qui lui était coutumière, lui rendait pénible le moindre mouvement. Il se leva pourtant et inspecta les alentours. Depuis quelques dizaines de milliers d'années, la guerre sévissait dans cette partie de l'univers, figée en guerre de position. Les pilotes et leurs astronefs avaient quitté la place et seuls les fantassins occupaient le terrain. Depuis des milliers d'années, tous les jours, il occupait ce terrain. Cette saloperie de planète d'une étoile devenait un sol sacré, un sol à défendre puisque les Autres y étaient aussi. Les Autres, c'est à dire la seule race douée de raison de la galaxie... des êtres monstrueux, ces Autres, cruels, hideux, ignobles. Il était trempé et boueux, il avait faim et il était gelé. Mais les Autres étaient en train de tenter une manoeuvre d'infiltration et la moindre position tenue par une sentinelle devenait un élément vital du dispositif d'ensemble. Il restait donc en alerte le doigt sur la détente. A cinquante mille années-lumière de chez lui, il faisait la guerre dans un monde étranger , en se demandant s'il reverrait jamais son foyer. C'est alors qu'il vit l'autre approcher de lui, en rampant. Il tira une rafale. L'Autre fit un bruit affreux et étrange, s'immobilisa et mourut. Il frissonna en entendant ce râle, et la vue de l'autre le fit frissonner encore plus. On devait pourtant en prendre l'habitude, à force d'en voir - mais jamais il n'y était arrivé. C'étaient des êtres vraiment répugnants, ………………………………………………………………………………………………
(
d'après Frédéric Brown, Lune de Miel en enfer) Lecture
Planète Terre :26
novembre 3926 (calendrier universel)
à Mme Wxxwe Ztyüe Planète X2784.
Ma chérie
Je t'écris caché au fond de ce désert boueux où l'on m'a envoyé . Je ne sais plus depuis combien de temps je suis ici. Je ne sais plus depuis combien de temps j'attends que quelque chose se passe. Tous les jours, j'observe ce soleil jaune qui traverse un ciel vide. Pas un véhicule. Rien. Le rien éternel, immobile. Je ne sais plus pourquoi je surveille cet espace que nos dirigeants ont décidé de conquérir. Ils disent qu'il est sacré…Moi je sais seulement qu'il est froid et absurde. Et puis, il est si loin de toi… J'ai parfois peur de t'oublier . Saloperie de coin perdu! Les enfants doivent être grands maintenant. Raconte leur comment c'était avant. Avant la Grande Guerre. Il y a dix jours un chef est venu. Il m'a dit que les Autres ourdissaient une attaque. Je dois t'avouer que j'ai eu peur. Mourir m'est égal, mais voir ces monstres me terrifie. Je dois redoubler de vigilance. Hier, j'en ai descendu un , d'une seule rafale. Je ne te raconterai pas cette horreur absolue. Je préfère me souvenir de tes baisers et de nos soirées devant le Lac Divin. Pense à moi souvent. Je m'accroche à ton souvenir pour garder la force de vivre. Je t'aime. Embrasse nos enfants.
Ton amour éternel. XöIlet
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