L'art en bazar
et
Sébastien le parfait citoyen
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Mais quels rapports ces images peuvent-elles entretenir avec ce récit de M Argilli?
    Sébastien, parfait citoyen
Marcello Argilli

Voici l'histoire de Sébastien, le plus parfait des citoyens. Employé zélé, exemplaire, il s'efforçait toujours de plaire.
-Bonjour, monsieur le Président, je vous salue respectueusement. A vos ordres, monsieur le Directeur, ce sera fait sans faute tout à l'heure...
Se comportant toujours ainsi, il passait son temps à dire oui.

Chaque matin, après son bain, il trempait son croissant dans son café brûlant, il achetait au kiosque ses journaux, puis, bondissant dans le métro, il arrivait ponctuel au bureau. Toute la matinée il travaillait d'arrache-pied, courait à la cantine lorsque sonnait midi (spaghettis, tranche de rôti et pour finir un fruit), et de nouveau, jusqu'à six heures, le bureau. Après quoi, dans le parc, il faisait quelques pas, donnant le bras à sa fiancée, lui offrait un chocolat glacé, puis l'emmenait au cinéma. A neuf heures il regagnait sa maisonnette, il préparait sa modeste dînette, puis, s'installant sur le canapé, bien au chaud, il regardait une heure la télé, et à dix heures, allez hop ! au dodo.

Tous les jours, sans exception, comme une montre de précision.
Le lendemain matin (eh bien oui, que voulez-vous, c'est ainsi), Sébastien reprenait son train-train: le bain, le croissant dans le café brûlant, les journaux, le métro, le bureau, la cantine à midi (spaghettis, tranche de rôti et pour finir un fruit), de nouveau le bureau, quelques pas avec la fiancée, le chocolat glacé, le cinéma, la dînette à la maisonnette, le canapé, la télé bien au chaud, et à dix heures, allez hop ! au dodo.
Toujours pareil, quelle merveille ! Il avait vraiment tout pour plaire, ce petit bonhomme exemplaire : c'était un citoyen modèle, qui jamais ne faisait marcher sa cervelle.

Mais voilà qu'à force de faire aujourd'hui comme hier, été comme hiver, il perdit peu à peu la raison, et sombra dans la confusion.
Un matin (eh bien, oui, que voulez-vous, c'est ainsi), Sébastien trempa son croissant dans son bain, avec son café il se lava le bout du nez, il acheta au kiosque le métro et bondit dans les journaux. Toute la matinée à la cantine il travailla d'arrache-pied, et consacra l'après-midi à dévorer des spaghettis. Après quoi, oubliant sa fiancée, dans le cinéma il fit quelques pas, donnant le bras à un chocolat glacé. Le soir, installé bien au chaud sur la télé, il regarda une heure le canapé, et à dix heures, allez hop ! au bureau.
Pauvre, pauvre Sébastien, il ne s'y retrouvait plus très bien : ayant perdu l'usage de la raison, il nageait en pleine confusion.

Au réveil le lendemain, après le bureau, il prit son bain dans son café chaud, s'essuya avec les journaux, but de l'eau savonneuse qu'il trouva délicieuse, et allez hop ! au dodo dans le métro. A la cantine à midi il mangea d'abord le fruit puis une tranche de spaghetti, après quoi il travailla d'arrache-pied au cinéma, et dans le parc, au lieu du chocolat glacé, il lécha sa fiancée. Dans sa maisonnette, à neuf heures, il dévora le téléviseur, et depuis plus d'une heure il regardait sa dînette, quand soudain (eh bien oui, que voulez-vous, c'est ainsi, et tant pis si ça vous désole) entrèrent deux infirmiers qui lui passèrent la camisole. A l'asile de fous on l'emmena en fourgonnette, et voilà comment, sans tambour ni trompette, finit l'histoire de Sébastien, le plus parfait des citoyens, employé zélé et modèle, qui jamais ne faisait marcher sa cervelle.